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Le Rapt (suite et fin)

Le plan était simple, ça se passerait à l’école élémentaire Holm. Le Hacker, Cerbère, convoque la gamine au bureau administratif, grâce à son accréditation de sécurité, ça devrait être du gâteau.
Il pourrait entrer dans le bâtiment avec G-Storm et Tao, l’orque Hongkongaise ; TJ, le gamin interfacé, resterait seul sur les marches pour dompter les deux drones de Lone Star en faction.
Le domicile des Westmore était sous haute surveillance : Cerbère avait été grillé par les glaces à louer de l’ordinateur du domicile, l’alerte avait été donnée et le foyer grouillait de vigiles.
Sa plongée avait au moins permis d’identifier le garde du corps, « Frost ».
Mais il ne leur restait plus que l’école pour extraire la cible.

Ils avaient fait une reconnaissance, devant l’école : deux drones patrouillaient à l’entrée, c’était des drones de Lone Star, l’école privée avait un contrat privilège.
Ils étaient en mode autonome et scannaient les entrants.
Garée en face du bâtiment au milieu d’autres véhicules, une américaine, bien entretenue, mais en fin de vie, attirait leur attention. Elle dénotait, faisait tache.
Ils étaient passés trois fois, faisant le tour du bâtiment, lentement avec le van, et s’étaient garés sur le bas côté, ils étudiaient la possibilité de déclencher une fausse panne juste en bas des escaliers.
C’est à ce moment que Frost s’est invité. Un gaillard blond, le visage mal taillé, les traits profonds, le nez cassé, les yeux comme un ciel d’hiver. Un costume bas de gamme, trop juste pour sa carrure, des pompes usées qui avaient du être classes un jour.
Il avait frappé à la vitre, comme ça, pour demander du feu mine de rien, ils avaient paniqué, il avait compris, il se doutait de quelque chose, pas un doute là-dessus. Le raid matriciel au domicile des Westmore et un van louche qui fait des tours, s’il avait été inquiet, il était désormais sûr que quelque chose se préparait.
Il avait allumé sa clope en fixant G-Storm, il avait planté son regard dans le sien une éternité, et était reparti se caler dans la vieille américaine.
Un vieux cow-boy, rien de plus qu’un putain de cow-boy qui s’est retiré trop tôt et qui s’en mordait les doigts, un mec qui a loupé son dernier rodéo et qui a eu peur de remonter, un mec dangereux, surtout si on lui offrait la chance d’un dernier baroud ; son air fatigué, sa démarche de looser, il avait une revanche à prendre, G-Storm voulait pas la lui offrir, ils devraient jouer serré.
Le mec reculerait pas, comme un vieux cow-boy qui est passé à côté de sa vie, qui avait eu le temps de comprendre qu’entre la légende et l’oubli y’avait qu’un pas et qu’il avait pas eu le cran de le faire, dangereux comme un mec qui sait que c’est sa dernière chance.

Plats de Ramens froids empilés les uns sur les autres, bières Chinoises éventées, et gros nuage de fumée, le gosse fumait des cubains, ça empestait.
Tao nettoyait son Prédator, le pistolet lourd était bien entretenu, le chien avait été limé et la crosse thermoformée pour épouser sa pogne épaisse. Une inscription en Thaï suivait le long canon lustré.
L’autre flingue était posé sur la table, attendant tristement son tour.
Elle mâchonnait le bâtonnet d’une sucette fraise cola, l’air concentrée.
Cerbère terminait une bouteille de Scotch assis dans l’ombre, perdu dans les volutes de fumée bleue. Il avait pas dormi, son aura était sombre et lourde, il avait un mauvais Karma, un truc qui le suivait dans l’air, un truc que l’alcool ne suffirait pas à faire passer.
Il ne parlait que rarement et toujours avec une sorte de résignation monotone, il restait en retrait accoudé au zinc, face à son reflet dans la vitre sale du bar.

Depuis l’aube ils préparaient minutieusement leur opération, la tension était encore palpable ; les traits tirés, G-Storm terminait le tour de table.
« – C’est notre seule chance, si on se plante ici, pas question de poursuivre l’opération, rappelez vous, la priorité c’est de l’extraire sans une égratignure, pas question d’abîmer la marchandise, Miss Johnson a été claire là dessus.
« Faudra aller vite, dans ce coin de Bellevue, la Lone Star a un temps moyen d’intervention de sept minutes, tout le monde s’en tient à son script, pas d’improvisation.
« On bouge d’ici à 13h ; à 14h, elle rentre en cours d’algèbre, c’est au rez-de-chaussée, c’est l’endroit le plus vulnérable du bâtiment. « Frost, c’est le putain de grain de sable, faut s’occuper de lui en priorité, sa caisse est garée devant l’école.
« Cerbère, Frost ne l’a pas extraite ? Elle est toujours en cours ? »
Le hacker avait les yeux rougis et cernés par l’insomnie, il le regardait à travers les fenêtres de réalité virtuelle qui dansaient devant son visage consumé par la fatigue.
« – Nop, elle suit un cours en ce moment même au deuxième étage du bâtiment.  – Garde un œil sur elle, je veux pas de surprises. »

Un projo de la piste de danse illuminait la table de billard sur laquelle ils élaboraient leur plan.
La planque était sûre, oubliée dans les bas fonds de Little Asia, c’était une boîte de strip-tease qui avait fermé peu après le crash 2.0 ; le proprio, un mauvais payeur, était mort nettoyé par des coréens ; Dead Tiger, l’arrangeur de G-Storm, avait été payé pour faire le ménage.
Il avait pas oublié l’endroit et attendu que la poussière se dépose pour en faire une planque, le crash de la matrice en faisait un mystère du cadastre, tout ce qu’il en restait de visible depuis la rue était une porte sale couverte de tags et d’affiches déchirées, nichée dans les sous-sols d’un bâtiment en ruine.
Ils avaient même une douche dans les loges des danseuses, là-bas y’avait pleins de signatures, de dessins obscènes sur les murs et des Codecoms griffonnés suivis d’invitations sulfureuses.
Y’avait des prénoms marqués au rouge à lèvre sur les glaces.
Il restait des costumes de paillettes, de plumes et de frous-frous, du maquillage plein les étagères.
L’endroit s’était arrêté de vivre, d’un coup, sans prévenir, personne n’avait rangé, tout avait été abandonné en l’état.
Ça puait les cosmétiques de contrefaçon et les souvenirs pleins de rêve de star, d’espoir de percer dans l’entertainement ou de plaire à un ponte fortuné.
Dans le coin des miroirs, y’avait des photos accrochées qui avaient perdu leur 3D et leurs couleurs, restaient que des vieux papiers jaunis et ternes, comme des feuilles fanées prêtes à tomber en automne.
Les visages souriants et juvéniles semblaient tristes et fantomatiques.
Dans l’astral, G-Storm entendait encore les rires et les querelles des danseuses. Les amours rapides et les étreintes froides et grossières entre deux portes. Les remontrances du patron et ses mains baladeuses qu’on tolérait parce que la patronne, une chinoise maquillée comme une maquerelle, toujours la clope au bec, lui pourrissait la vie à force de l’engueuler comme s’il était responsable de chacune de ses rides.
Ça puait la mort, le patron Mr Cho avait été exécuté sur la piste de danse après la fermeture, il suppliait son assassin en cantonais juste avant que la balle ne lui explose la cervelle sur un tube des « Stankes ».
Sa femme, battue à mort, derrière le bar, n’avait pas mérité la balle qui lui airait épargné de longues heures d’agonie, brisée.
L’astral en gardait le souvenir, ça l’empêchait de se concentrer, ça ruisselait sur la piste, résonnait dans les couloirs.
Le sang chaud, la cervelle qui s’évapore dans les airs comme une pensée qui se perd, l’odeur de la poudre, et le bang qui marquait un point final à la petite vie du « Show Cho Balroom ».

Cette matinée passée à planifier le rapt d’une gamine corpo lui restait en travers de la gorge, comme un sale goût après avoir vomi. Il fallait que G s’aère, qu’il prenne le large, l’odeur de fumée froide et des restes de bouffe lui collait à la peau.

Il marchait sans but dans les rues industrieuses de Little Asia. La faune avait changée, les portefaix avaient remplacé les oiseaux de nuit, les coursiers se bousculaient comme des lévriers sur un champ de course.
Il portait son vieux cuir des Ancients, son jean était sale, déchiré et moucheté de peinture. Il avait une dégaine de merde, le truc le plus cher sur lui était son sabre imitation katana, un truc fabriqué en série dans une usine en Europe. C’était pour la frime, et pour le fun, il trouvait que ça en jetait, un souvenir du gang.
Avant son incarcération c’était la grosse mode de se taillader au katana en moto, des duels genre chevalerie, une main pour la pétroleuse, une main pour le sabre, le vainqueur était celui qui faisait couler le premier sang.
Des vendeurs à la sauvette, Taïwanais et Philippins, recouvraient le macadam de leur tapis couverts de babioles, contrefaçons habiles et bricolages merdiques de hardware.
Des vieilles vendaient sur ce marché improvisé de la volaille clonée en batteries dans les arrières cours des restaus du centre, c’était illégal comme tout le reste de ce qui était exposé avant les premières patrouilles Lone Star de huit heures.

Il s’isola dans une impasse, le bitume au sol était craquelé et marqué au sol comme si autrefois des voitures y circulaient.
La ruelle était étroite, la vapeur d’une blanchisserie s’échappait d’une trappe grillagée.
Il lui fallait de l’aide, l’aide de la rue. Frost pouvait tout faire foirer.
Un mec lui avait appris à faire ça, un clodo orque de Tarislar, il savait comment leur parler, les faire obéir.
Les lignes tracées en jaune sur le bitume avaient commencé à doucement onduler, comme le dos d’un serpent, lent, silencieux, s’approchant de lui, s’en prenant à ses sens.
Ça sortait de terre, de sous la croûte noire et luisante du macadam, c’était gros, méchant, et malin.
Ça volait à hauteur de poitrine, mi enfoncé dans le sol, comme si l’asphalte était liquide et que la chose ne sortait que le haut du corps.
« Recule putain ! » La voix de G-Storm était tranchante.
La chose ne parlait pas, elle avait vaguement la forme d’un dragon, plutôt le déplacement d’un dragon, car elle n’avait, a proprement parlé, pas de forme.
Elle ne broncha pas, le truc avait du cran, il avait peut-être visé trop haut.
Un amas de bitume dansant, virevoltant à moins d’un mètre de son visage.
Une collerette de tuyauteries rouillée formait une sorte de crinière d’où s’échappait une vapeur brûlante.
Il sentait son haleine chaude et humide, entre l’égout du matin et l’odeur des poubelles froides.
Ce qui aurait pu être sa tête était un masque grimaçant, fait de plomberies urbaines nouées autour d’une borne incendie comme on en voit dans les vieilles tridéos d’avant les 50’s.
Le truc dansait autour de lui légèrement avec une grâce saccadée, comme ces dragons qu’une dizaine de mecs agitent au nouvel an chinois, une masse énorme arrachée à la rue, dégoulinante d’eaux sales, de boue et de bitume.
« Tu m’aideras quand je t’en donnerais l’ordre. Maintenant tu dégages et tu baisses tes yeux quand je t’invoque ou je te crève, là, la gueule sur le trottoir.»
On s’adresse pas à une impasse de Redmond comme à une rue commerciale d’Evrett, ou à une ruelle de Downtown ; un cul de sac comme ça, ça entend des règlements de comptes, des passes vite faites mal faites, ou des truandes de bas étage. On y fourgue, on y vend des spécial samedi soir, on y corrige une gagneuse au rasoir sucré ou on y passe la nuit décalqué à l’éther en insultant tout ce qui dort au chaud dans une piaule, surtout les clebs.
G-Storm était prêt, il saignait du nez et flirtait avec les murs, s’appuyant sur les réverbères pour rentrer.
L’esprit lui obéirait.

TJ avait garé son van loin de l’entrée de l’école, il le sifflerait au dernier moment ; Tao, Cerbère et G-Storm suivaient le gosse.
Ils avaient des oreillettes et une fréquence sécurisée, ils testaient leur liaison ; émission, réception, tout roulait.
La voiture de Frost était là, G-Storm bascula en perception astrale, ce connard allait prendre l’esprit en pleine gueule.
Tout était gris dans la caisse : un vieux relent d’ennui, des volutes de sommeil, merde, il était pas là !

« Frost, j’ai perdu Frost, il est pas là…. »
Première surprise. Mauvaise.
Tao regardait nerveusement autour d’elle : des passants, un vieux rupin qui promène un clone du chien de son enfance, un drone qui aligne des PV en scannant les véhicules à l’arrêt devant l’école, des passants, un clodo vautré sur la première marche de l’escalier de pierre qui mène à l’école, des touristes qui demandent leur chemin…
L’esprit grondait sous terre, il avait pas sa proie et G-Storm avait pas le temps de le remettre dans le droit chemin.

TJ était arrivé en haut des marches avant eux, il était entre les deux drones de Lone Star, ils commençaient à le scanner ; lui, lançait son hameçon, il utilisait un worm Ukrainien qu’il avait reprogrammé.
Il devait craker les deux drones et en faire ses jouets. Il avait promis cinq minutes sans problème, après il serait sûrement éjecté. Il avait expliqué que ça se passerait comme dans un rodéo, il les tiendrait un moment, mais que si l’employé Lone Star en charge des drones s’en rendait compte, et ça arriverait, ça serait pour lui comme pour le cow-boy sur le taureau quand le taureau se rend compte que ses couilles sont coincées par le harnais.
Il prenait le contrôle des bêtes et réinscrivait leur scripte.
Tao lui avait suggéré d’éjecter les chargeurs des drones pour pas qu’ils se retournent contre eux.

Ils avaient donc cinq minutes pour intercepter la fille que le Hacker convoquait déjà au bureau administratif grâce à sa maîtrise du commlink du secrétariat.
Les drones étaient domptés et ils détournèrent les senseurs à leur passage.

Ils entraient laissant TJ seul sur l’escalier, entre les drones.

Ils étaient dans le couloir. On aurait pas dit une école, plutôt un musée. Enfin, l’école, de toute façon, il avait qu’une vague idée de ce à quoi ça pouvait ressembler. La fille marchait à leur rencontre, elle portait son uniforme comme sur la photo, c’était elle, pas de doute. Elle s’arrêta. Oui, évidemment, ils avaient pas l’air de profs…
G-Storm la souleva du sol, lui colla la main sur la bouche, elle avait eu le temps d’hurler un « maman » strident. Vingt-cinq mètres de la sortie.

La ligne Tao/TJ grésillait.
« Tao à TJ, t’as désarmé les drones, blanc bec ? »
« Je suis en train ma belle, mais j… » Rafale, impact, explosion, trois balles explosives, un cri… « Merde ! TJ au sol, je répète TJ au sol. »
Tao dégainait ses breliques, elle se jeta vers la sortie ; G tentait de suivre mais la petite le ralentissait. Cerbère courait derrière lui en cherchant ce qui merdait dans le cyberspace.

Derrière eux, dans le couloir, un beuglement : « Vous croyez aller où avec cette gamine ?!! A plat ventre les mains derrière la tête. »
C’était pas Frost, y’avait pas que des drones qui patrouillaient ici pour Lone Star : l’agent Gibbs avait décroché ce job peinard à deux ans de la retraite, une école élémentaire y’avait pas plus calme dans tout Seattle ; enfin, c’est ce qu’il croyait.
Il était au bout du couloir, dix mètres derrière, en position de tir comme à l’académie : les genoux bien fléchis, les épaules droites.

Ils avaient la fille, le flic tirerait pas. G-Storm reculait doucement vers la sortie…Cerbère le couvrait.
Dehors, dans l’escalier, ça flinguait dans tous les sens. Tao était en silence radio Une chose était sûre, c’est que les drones avaient été repris en main et qu’ils avaient déclenché l’alarme. G-Storm tentait d’arracher l’arme du flic à louer avec son mojo, mais ce vieux con s’accrochait à son flingue.
L’alarme beuglait.
Les portes des classes s’étaient ouvertes à la volée et les gosses se déversaient sagement dans le couloir, une marrée d’écoliers en uniforme avait investit le couloir.
G-Storm perdait le contrôle, ça se compliquait sérieusement.

Dehors, Tao avait vu le petit plaqué au sol, trois balles dans le buffet.
Les drones s’agitaient, c’est pas eux qui avaient tiré. Les flingues au poing, Tao scrutait les environs. Des balles explosives, une rafale courte et bien centrée, un mec seul qui tirait pour tuer, ça venait d’en bas de l’escalier… Un passant à plat ventre les mains sur la tête, une fille qui court se mettre à couvert derrière la rampes de pierre. Le clodo, il était plus avachi mais s’était pas planqué, un filet de fumée sortait de sa gabardine large… « Frost ! »

Cerbère tenait la porte pour G-Storm qui marchait à reculons, ils sortaient à leur tour. Frost avait pris deux balles et était tombé à couvert derrière la rampe de pierre de l’escalier ; Tao virevoltait entre les deux drones, elle était amochée, mais n’avait raté aucune de ses cibles.
En tombant Frost avait laissé une grenade flashbang en souvenir.
Tao terminait sa passe d’arme, les craches plomb braqués vers un des drones.
C’était comme si elle dansait mais avec des flingues, ça ressemblait à des katas. Chaque geste avait un sens, et tout se faisait en fonction de l’orientation des flingues.
Avec ses acrobaties, elle offrait un minimum d’angle de tir à ses adversaires.
Ce qui foutait vraiment le trac, c’est le sourire qu’elle avait quand elle avait une option de tir.

G-Storm cherchait Frost du regard, il était passé en perception astrale pour le voir à travers son couvert. Il pouvait pas lâcher l’esprit sur lui s’il le voyait pas.
C’est à ce moment que la grenade termina sa course sur la pierre froide de l’escalier, tout prêt de Tao. Quand Frost l’avait lancée, la gamine était pas là.
Ils étaient sortis au mauvais endroit, au mauvais moment.
Un bip timide avait précédé la déflagration.
G-Storm voyait ses pieds, le ciel bleu, une couette de la petite Westmore, ses oreilles sifflaient. La réception fut brutale, une douleur brûlante à l’épaule, la petite était encore dans ses bras, inconsciente, il avait pas été loin de tourner de l’œil lui non plus.
Les drones avaient giclés, se crachant violemment dans un parterre de fleurs.
Tao se relevait, cherchant un angle de tir vers Frost qui en avait profité pour se mettre totalement hors de vue, dans l’angle du bâtiment.
TJ rampait vers la route, désorienté par le choc, il avait plusieurs côtes cassées et laissait une traînée sur les marches en bas de l’escalier. Son T-shirt était noir de sang, il lui collait à la peau.
G-Storm avait une grosse envie de se laisser aller, de fermer les yeux, il avait avalé ce qui devait être un morceau de dent, une de ses incisives avait sautée, coupée en biais.
Il pensait au garde à l’intérieur, il allait pas tarder ; en tout cas, il appelait des renforts. Une grenade à la sortie d’une école élémentaire, même si c’était pas une charge anti-personnelle : Lone Star allait pas faire de détail, ils tireraient pour tuer et les médias applaudiraient pour une fois.
C’était décidément pas le moment de tourner de l’œil.

Le van remontait la rue en zigzagant, le gosse avait quand même réussi à le chevaucher dans son état, sa pompe à adrénaline avait dû lâcher un rush au moment de l’explosion.
Tao arrosait la planque de Frost d’un tir de couverture.
Le van pilla juste devant TJ au moment où ses genoux lâchaient, il se rattrapa à son capot comme quand on se cramponne à une épaule amicale.
La porte latérale s’était ouverte à la volée, Cerbère se mettait déjà à couvert.
G se levait, ça tournait tout autour, la petite était lourde, sa tête se balançait comme un ressort cassé.
C’était le moment de lâcher la bête, l’esprit se matérialisa juste devant lui, l’air courroucé.
« Tue-moi ce sale bâtard ! »
En voyant l’esprit s’enrouler autour de son corps déjà bien amoché, G comprit que pour l’esprit, la définition de « sale bâtard » s’approchait plus du mec qui tient une gamine inconsciente dans ses bras que d’un vieux cow-boy qui se cache pour sauver sa peau….
Et puis il avait commencé sa phrase par « Tue-moi… »

Il lui restait plus qu’un ordre pour sauver sa carcasse, fallait pas se planter…
« Casse-toi immédiatement, bouge de là ! Retourne dans ton impasse de merde ! »
Encore un coin de rue qu’il faudrait pas oublier d’éviter.

Ils s’en tiraient avec pertes et fracas.
La petite était vivante, Frost pourrait jamais les rattraper avec son épave et Lone Star n’avait pas chopé la plaque RIFD du van, techniquement ils étaient clean.
Ils avaient fait des détours pour être sûrs de pas être suivis, ça faisait vingt-cinq minutes qu’ils roulaient.

Tao rechargeait son flingue, il lui en restait qu’un, l’autre lui avait explosé dans la main pendant la fusillade.
Cerbère inspectait la fillette.
« Mauvaise nouvelle, elle a des implants, des trucs pas prévus…
« Des yeux cyber avec un module enregistreur, elle a sûrement tout filmé. Il faut que je la pirate, je crois que je peux effacer sa mémoire interne en me branchant de jack à jack pour pas laisser traîner des ondes compromettantes.
« Elle a aussi un RIFD comme celui que tu avais, G. Mais pour l’opération en dilettante, je jette l’éponge, le truc est collé à son commlink interne, faut ouvrir la boîte crânienne, compte pas sur moi sur ce coup-là.
« Ils vont trianguler notre position, Frost a certainement la fréquence, peut-être même que Dona Westmore l’a donnée à Knight Errant ou Lone Star et, si c’est le cas, on est vraiment dans la merde. »

L’hémorragie de TJ était stoppée, un médikit placé par G-Storm maintenait ses fonctions vitales. Ils avaient enlevé les sédatifs, pour qu’il reste conscient, et l’avaient allongé à l’arrière. Il fermait les yeux, relié à son van. Conduits par un mourant qui roulait à tombeau ouvert !

Ils étaient sur Murrow Memorial, le pont qui enjambe le lac Washington en reliant Bellevue à Downtown , un pont interminable, plus de deux kilomètres de long, ils ne pouvaient pas faire demi-tour.
Si un barrage était tendu à l’autre bout, c’était retour direct en prison pour G-Storm. Il avait même pas eu le temps de casser la gueule de son cousin, chienne de vie, ça aurait été sa seule bonne action.
Un vrombissement puissant faisait vibrer les vitres du van, quelque chose de gros se cachait sous le pont…
Tao osait à peine comprendre, G avait un très très mauvais pressentiment….
Soudain, comme un rapace, il surgit. Plusieurs tonnes de métal. Le van avait fait un écart à cause de la dépression créée par les pales gigantesques. Un Ares Dragon, un hélicoptère gargantuesque, lourdement armé.
Cerbère était dans la tête de la petite, TJ avait enfoui sa conscience au plus profond de la machine, il roulait de façon inquiétante, frôlant les autres véhicules, zigzagant de façon incohérente, il tenait à peine la route. Pas mal quand même pour un mec qui a pris trois balles dans le torse.
Le pilote leur mettait la pression, ses pales touchaient presque le toit du van, y’avait des carambolages partout autour d’eux, la grille matricielle qui gérait la circulation paniquait, comprenait pas ce qu’il se passait.
L’hélico tournait autour d’eux, évitant les panneaux et les câbles, il rugissait à chaque passage au-dessus d’eux. Tao gardait ses balles, inutile de tirer sur ce truc.

Soudain, il les dépassa, en rase motte, se cabra et manoeuvra un superbe demi-tour, se plantant là, face à eux. Ses mitrailleuses les avaient verrouillés, s’ils tiraient, il faudrait des jours pour identifier leurs corps.

Forcer le passage ou tout arrêter….
G-Storm avait une boule dans l’estomac, ça turbinait à fond du côté de ses méninges, ses pupilles dansaient la polka.
Il avait pas le droit de se planter…
« Ils bluffent. Tout droit, ralentis pas… »
L’interfacé obéit, sans flancher, ses sourcils froncés par l’effort, le corps baigné de sueur et de sang.
Cerbère savait même pas qu’il risquait sa viande, le firewall de la petite lui causait plus de soucis que prévu.
Tao serrait ses mâchoires puissantes avec un regard mauvais vers lui.
S’il se plantait, il devrait rendre des comptes aux survivants…

C’est eux qui cédèrent : l’hélico s’était effacé au dernier moment ; par contre, un truc énorme en était tombé au passage.
Il passa en vision astrale et se sentit tout de suite menacé par la masse de chair qui venait de s’écraser violemment sur le toit du van.
« Un troll…ou pire….fais gaffe Tao… »
Il eut juste le temps de dégainer son sabre, sans penser un instant au ridicule de se trouver face à un troll avec son jouet.

La porte latérale du van venait de s’ouvrir, presque arrachée. Avant qu’ils n’aient eu le temps de penser à la refermer, Tao prenait le troll en pleine gueule, les deux pieds en avant. Trois cent vingt-six kilo de troll, le complet gris taillé sur mesure, la coupe élégante saccagée par un baudrier bien ajusté. Il avait une épée/rasoir, une lame monofilament tendue sur le tranchant, un truc qui laisse des blessures propres et nette.
Y’avait plus que G-Storm…son sabre et sa belle gueule d’elfe avec une dent cassée. Le troll avait un tatouage sur la main, force spéciale des UCAS, les Trinity, l’équipe de Frost.
G s’en foutait de qui c’était, il sentait surtout que les prochaines secondes risquaient bien d’être ses dernières.
Ils échangèrent une passe d’arme rapide, trop violente pour qu’il garde son sabre en main, son poignet avait casé net, dans un craquement presque comique.
Mais le troll était entré dans sa garde, c’est tout ce qu’il attendait. Il déchargea la foudre, le frappant en pleine poitrine ; un arc électrique dansait entre eux, ça lui brûlait les yeux.
Ça sentait le cramé, y’avait eu un choc, le van avait presque versé sur le côté.
C’était quitte ou double, il osait pas rouvrir les yeux. Un mec normal se serait pas relevé d’une décharge comme ça.
C’était pas un mec normal. Le troll était là devant lui, l’épée braquée sur sa pomme d’Adam.
« On en reste là, je prends la petite, tu bouges pas et tu penses que c’est qu’un mauvais moment à passer. » Il avait une voix rocailleuse, lourde, il parlait lentement comme s’il avait lui-même du mal à comprendre ce qu’il disait.
Ils se regardèrent un moment, face à face.
Le troll se détourna lentement pour prendre la fillette, débranchant le câble qui reliait sa petite tête à celle du hacker. Avec des mouvements doux, presque tendres, il la hissa sur son dos. Sur son épaule, elle ressemblait à une poupée de chiffon.
G pouvait le faire griller et, cette fois, il le manquerait pas. Il tenait à peine debout, troll ou pas troll, il avait accusé le choc et avait presque son compte ; il le cachait bien mais il suffirait d’un geste pour le finir avec son mojo.
Un petit sourire se dessina sur ses lèvres, son poignet le lançait, mais il était encore d’attaque.

Ce con de Troll l’avait épargné sachant ce qu’il risquait s’il lui tournait le dos. G-Storm comprenait pas, il en restait figé là comme un con, le dos énorme du troll offert sans défenses.
S’il avait été encore dans le gang, il n’aurait même pas hésité, il se serait pas gêné et il aurait été applaudit.
Mais non, il devait être encore plus con que le troll.
Il l’avait laissé partir, c’était fini. Ils avaient joués et ils avaient perdus.
Il rentrait dans les ombres par la petite porte, un looser de plus pour faire bander les Johnson.
Il avait fait son choix, jamais plus il serait un bosozuku, une petite frappe. Il avait trouvé une autre voie.
Ça commençait mal pour un premier contrat, il s’était vautré, y’avait eu de la casse et ils avaient encore moins de nuyens qu’en embarquant.
Il aurait pu le cramer, y’avait même aucune chance qu’il le rate, c’est pas la peur qu’il l’avait retenu, oh non, c’était un autre truc, un truc important, il arrivait pas à comprendre son geste, à mettre des mots dessus, mais il savait que ça changerait sa vie.


Document publié sur shadowrun.fr le vendredi 22 décembre 2006 par Bertrand Debeaux.

Article mis à disposition sous licence Usage personel.


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  1. Le 27 février 2007, 19:20 Namergon a écrit

    Ce que j’ai aimé :
    + Bon style
    + Invocation originale, j’ai bien aimé
    + C’est définitivement « « street »« 

    Ce que j’ai moins aimé :
    . Quelques libertés avec le « « canon »« 
    . Le coup de l’Ares Dragon entame un peu le côté « « street »« , dommage.

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